
Sensibilisation · 4 min
Octobre Rose, au-delà de la sensibilisation
Publié le 1 juillet 2025
Chaque année, en France et dans le monde, le mois d’octobre est synonyme d’Octobre Rose : une campagne emblématique de sensibilisation au cancer du sein, financements pour la recherche et mobilisation citoyenne convergent pour cette cause. En France, le cancer du sein représente 33 % des cancers féminins, restant la première cause de mortalité par cancer chez les femmes . Dans ce contexte, faire le lien avec la santé environnementale révèle non seulement les facteurs modifiables à l’échelle individuelle, mais aussi les déterminants collectifs à intégrer pour réduire l’incidence globale.
Octobre Rose, un mois de mobilisation face à un cancer aux causes multiples
Chaque mois d’octobre, des milliers de femmes, de professionnels de santé, d’associations et de collectivités se mobilisent pour Octobre Rose. Cette campagne annuelle vise à sensibiliser à l’importance du dépistage du cancer du sein, première cause de décès par cancer chez les femmes en France. Ce cancer touche environ une femme sur huit au cours de sa vie, représentant à lui seul 33 % de l’ensemble des cancers féminins.
Les campagnes de dépistage ont permis d'améliorer significativement les taux de survie. Un cancer du sein détecté à un stade précoce présente un taux de guérison supérieur à 90 % à cinq ans. Pourtant, la participation au dépistage reste insuffisante : en 2022, seulement 44,9 % des femmes de 50 à 74 ans y ont eu recours, bien en dessous des objectifs de santé publique.
Mais cette focalisation sur le dépistage, bien qu’essentielle, ne suffit plus. En parallèle de la détection, il est devenu crucial d’élargir notre compréhension des facteurs de risque, notamment ceux liés à notre environnement. Longtemps ignorée, la santé environnementale constitue désormais une voie de recherche et de prévention incontournable.
Selon l’OMS, entre 70 et 90 % des cancers sont liés à des facteurs environnementaux et comportementaux, dont une large part pourrait être évitée. Cela inclut non seulement les modes de vie (alimentation, tabac, alcool), mais aussi l'exposition quotidienne à des polluants chimiques, industriels ou domestiques. Ces éléments peuvent altérer le fonctionnement hormonal ou endommager les cellules, favorisant ainsi l’apparition de tumeurs malignes.
Santé environnementale et cancer du sein – des liens de plus en plus documentés
L’un des champs d’étude les plus préoccupants dans le domaine de la santé environnementale est celui des perturbateurs endocriniens. Ces substances chimiques, que l’on retrouve dans de nombreux objets du quotidien — plastiques alimentaires, cosmétiques, pesticides, vêtements imperméabilisés — interfèrent avec notre système hormonal. Les œstrogènes, hormones sexuelles féminines, jouent un rôle clé dans la majorité des cancers du sein dits "hormono-dépendants". Or, de nombreux perturbateurs endocriniens imitent ou bloquent l’action de ces hormones.
Le bisphénol A (BPA), par exemple, a été largement étudié pour ses effets œstrogéniques. Une exposition chronique à cette substance, présente dans certains plastiques et résines, est soupçonnée d’accroître le risque de cancer du sein. De même, les phtalates (utilisés dans les parfums et cosmétiques), les dioxines (issues de la combustion), les PCB (isolants interdits mais encore présents dans l’environnement), ou encore les PFAS (substances perfluoroalkylées) sont aujourd’hui considérés comme des suspects sérieux. Une étude américaine a montré que l’exposition in utero au DDT, un pesticide interdit depuis les années 1970, multipliait par quatre le risque de développer un cancer du sein chez la fille devenue adulte.
Par ailleurs, l’environnement urbain et industriel joue un rôle non négligeable. Une étude de la Duke University (États-Unis) a révélé que les femmes vivant dans les zones urbaines les plus exposées aux polluants présentaient en moyenne 10,82 cas de cancer du sein localisé supplémentaires pour 100 000 habitantes, comparé aux régions les moins polluées. Les polluants atmosphériques comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le benzène ou les oxydes d’azote peuvent endommager l’ADN, favoriser l’inflammation chronique et altérer les régulations hormonales.
Les sources d’exposition sont multiples. L’eau potable, par exemple, peut contenir des résidus de PFAS, souvent surnommés "polluants éternels" en raison de leur persistance. L’alimentation est aussi en cause : les aliments ultra-transformés, riches en additifs et conditionnés dans des emballages plastiques, ont été associés à une augmentation des cancers, en particulier chez les jeunes femmes. Une étude récente a montré que chez les femmes de moins de 50 ans, le taux de cancer du sein augmente de 1,4 % par an depuis une décennie. La cuisson à haute température (barbecue, friture) génère également des composés cancérigènes.
Même des facteurs plus insidieux comme l’exposition prolongée à la lumière artificielle nocturne ont un impact. Les femmes travaillant de nuit voient leur production de mélatonine diminuer — or cette hormone joue un rôle protecteur contre la prolifération cellulaire anormale. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe désormais le travail de nuit comme "probablement cancérogène" pour l’être humain.
Ces multiples sources d’exposition, souvent invisibles et chroniques, justifient une révision profonde des stratégies de prévention du cancer. Il ne suffit plus de cibler les comportements individuels : il faut s’intéresser à notre environnement quotidien dans toutes ses dimensions — chimiques, alimentaires, professionnelles, urbaines — et aux inégalités sociales qui y sont associées.
Vers une prévention plus globale : intégrer l’environnement dans Octobre Rose
Prévenir le cancer du sein passe désormais par un changement de paradigme. Il ne s’agit plus seulement de promouvoir le dépistage ou l’auto-palpation, mais d’agir à la racine, en réduisant les expositions évitables aux polluants environnementaux. Cela implique une action à plusieurs niveaux.
Sur le plan individuel, des gestes simples peuvent déjà faire la différence. Éviter les plastiques alimentaires contenant du BPA, cuisiner maison à partir d’ingrédients bruts et biologiques, privilégier les contenants en verre ou inox, limiter l’usage de cosmétiques industriels ou de produits ménagers agressifs sont autant de moyens concrets pour réduire les expositions. L’allaitement maternel, souvent sous-estimé, est aussi un facteur protecteur important. Chaque année d’allaitement réduit le risque de cancer du sein de 4 %, et pourrait à lui seul éviter des milliers de cas si sa pratique était mieux soutenue par les politiques publiques.
La consommation d’alcool mérite également une attention particulière : en France, environ un cancer du sein sur dix est attribuable à l’alcool. Même une consommation modérée augmente le risque. Cela justifie des campagnes de sensibilisation explicites, voire l’instauration d’un étiquetage préventif comme c’est déjà le cas pour le tabac.
Mais c’est surtout sur le plan collectif et institutionnel que l’action est urgente. L’interdiction de certains perturbateurs endocriniens en Europe — comme le PFHxS en 2023 — doit s’accélérer, en appliquant le principe de précaution de manière proactive. Les politiques urbaines doivent intégrer les enjeux de santé environnementale en améliorant la qualité de l’air, en verdissant les villes, en favorisant des transports moins polluants. Des zones particulièrement exposées, comme certains bassins industriels, devraient faire l’objet d’un suivi sanitaire renforcé et de plans de prévention ciblés.
Octobre Rose, en tant que campagne de santé publique d’envergure, est une opportunité idéale pour faire émerger ces messages. De nombreuses actions concrètes pourraient enrichir la mobilisation : ateliers éducatifs sur les perturbateurs endocriniens, infographies explicatives sur les sources de pollution, conférences sur la pollution urbaine et la santé des femmes, ou encore événements “Octobre Vert” en parallèle du mois rose.
En intégrant la dimension environnementale à la prévention du cancer du sein, Octobre Rose pourrait devenir une véritable plateforme d’éducation à la santé globale. Il ne s’agit plus uniquement de soigner ou de dépister, mais de comprendre et transformer l’environnement qui rend malade. C’est en agissant à la source que l’on construira une société où la santé des femmes est pleinement protégée, dans leur corps, mais aussi dans l’air qu’elles respirent, l’eau qu’elles boivent, et les produits qu’elles utilisent chaque jour.